Thierry Hoscheit, président de l'ALIA, a souhaité la bienvenue au colloque le 25 avril. Photo: Marion Dessard.
Colloque du 25 et du 26 avril 2023
La présence d’un public nombreux et les discussions animées lors du colloque de l’Autorité luxembourgeoise indépendante des médias (ALIA) l’ont confirmé : la législation concernant les médias électroniques occupe les esprits ! Premier constat : la loi modifiée de 1991 sur les médias électroniques est surannée et doit être modernisée sur de nombreux points, car elle ne tient pas compte de l’évolution des technologies de communication et des comportements des usagers. Influenceurs, publicité sur Internet, désinformation ne sont que quelques-uns des multiples aspects que les lois modernes sur les médias doivent couvrir aujourd’hui. Or, comme l’a décrit le Premier Ministre et ministre de la communication et des médias Xavier Bettel dans ses mots de bienvenue, la loi qui a été adaptée pas moins de 13 fois depuis 1991 se présente « comme un patchwork rafistolé ». Lors de la conférence du soir et des panels suivant le lendemain matin, cette façon de décrire la situation actuelle a recueilli une grande unanimité. Ce fut également le cas pour sa conviction qu’il faut une réforme en profondeur qui implique également davantage d’autonomie pour le régulateur luxembourgeois des médias : l’unanimité régnait qu’une réécriture de la loi s’impose afin de mettre fin au « Flickenteppich » actuel.
« Les régulateurs doivent être des entités indépendantes »
C’est aussi ce qu’a souligné Tobias Schmid, directeur de l’autorité des médias pour le Land NRW et chargé des affaires européennes de la Conférence des directeurs des autorités allemandes des médias, DLM, lors de sa conférence du soir. Pour lutter contre des phénomènes de masse comme la propagation d’images pornographiques d’une violence extrême, il faut selon lui des lois nationales efficaces, des règles claires et des régulateurs forts et autonomes en matière de protection des consommateurs, de transparence et de sécurité juridique des fournisseurs de médias. Une analyse qu’a soutenue entièrement la représentante de la Commission européenne, Anne Calteux : « Les régulateurs doivent être des entités indépendantes. » Mais en même temps, ils doivent disposer des ressources nécessaires pour remplir leurs missions, car, comme elle a rappelé, l’ALIA doit aujourd’hui contrôler plus de 400 médias tombant sous compétence luxembourgeoise et prononcer, le cas échéant, des sanctions dissuasives, ce qui représente un défi énorme.
Si aujourd’hui, tout le monde est d’accord pour dire qu’une telle refonte est nécessaire, la députée CSV et vice-présidente de la Commission de la Digitalisation, des Médias et des Communications Diane Adehm a renvoyé, lors des panels du mercredi matin, sur le fait qu’encore en 2021, son groupe parlementaire avait introduit une motion demandant une refonte complète de la loi sur les médias, motion qui avait pourtant été rejetée par les partis majoritaires. En tout cas, il s’agit maintenant d’élaborer une réforme qui tient la route. Cela veut dire notamment se défaire de l’approche d’une loi différenciant selon le format des médias, entre télévision par câble ou satellite, radio ou VOD. Les « silos techniques », comme l’a formulé Tobias Schmid, ne font plus de sens, il ne faut pas différencier selon la technologie mais selon les contenus. C’est aussi ce qu’a prôné Francine Closener, députée LSAP : « Une nouvelle loi doit se baser sur le principe de la neutralité technologique. »
« Nous faisons comme les malfaiteurs: nous utilisons l’intelligence artificelle »
Dans l’optique de rendre la surveillance plus efficace, la question se pose également s’il ne faudrait-il pas rassembler sous un seul toit la régulation des médias électroniques et de la presse traditionnelle : un seul régulateur quels que soient les médias, c’est une idée qui n’en est qu’à ces débuts, mais qui mérite d’être discutée. Quant aux instruments qu’une nouvelle loi devrait donner au régulateur, le modèle allemand qui consiste à repérer les infractions de manière pro-active pourrait s’avérer intéressant. « Vis-à-vis du nombre énorme d’infractions sur Internet, nous faisons comme les malfaiteurs : nous utilisons l’intelligence artificielle pour rechercher ces infractions. L’outil digital que nous avons développé est simple et rapide, et en plus il adapte son comportement en fonction des données. »
La protection des consommateurs, enfants, jeunes et adultes, a été un sujet également très discuté. Jerry Weyer, représentant du parti des Pirates, a signalé un phénomène qui a encore peu suscité l’attention du public, mais qui s’élève déjà à l’horizon comme un nouveau défi pour les régulateurs : le métaverse, sorte de seconde réalité pour laquelle se posent à nouveau les questions de la protection des jeunes et de la compétence des organes de surveillance.
Certains membres des partis se comportent comme des « électrons libres »
Un point de discussion très actuel fut celui de la surveillance de la campagne médiatique électorale, surveillance qui incombe à l’ALIA mais qui est actuellement encore limitée à la campagne « officielle » dans les médias de service publics, à savoir RTL et 100,7. Bien qu’il existe également un « gentlemen’s agreement » entre les partis, cet accord n’est pas contrôlé. Djuna Bernard (Députée Déi Gréng, membre de la Commission de la Digitalisation, des Médias et des Communications) a même admis que dans son parti comme dans ceux de ses collègues, certains membres se comportent comme des « électrons libres » dans les médias sociaux, publiant ce qui bon leur semble.
Élargir les compétences et l’autonomie du régulateur au Luxembourg, cela veut aussi dire rassembler dans une main toutes les compétences, dont notamment l’octroi ou le retrait de concessions et permissions, compétences qui aujourd’hui sont réparties entre ALIA et ministère. C’est ce qu’a préconisé Paul Lorenz, le directeur de l’ALIA dans ses conclusions. Il a enfin souhaité que la belle unanimité qui a caractérisé l’ambiance du colloque ait des retombées concrètes en automne prochain, lorsque l’accord de coalition sera ficelé : « Ce serait dommage si la nouvelle loi ne pouvait pas être élaborée parce que l’accord de coalition n’en dit mot. »